Alpha Mady Soumah, ex-ministre des Mines, parle de la gestion du secteur en Guinée

Ingénieur géologue, géophysicien, ministre des Mines de 2002 à 2005, Alpha Mady Soumah, a été au cœur des réformes qui ont libéré les zones qui sont aujourd’hui exploitées par de nouvelles sociétés minières sur l’ancienne concession de la Compagnie de Bauxites de Guinée. Il a aussi été un témoin oculaire de l’installation de plusieurs compagnies en République de Guinée. Il a accordé une interview à WESTAF MINING pour parler, entre autres, du dossier Friguia. WESTAF MINING (WAM) : Quel regard portez-vous sur le secteur minier guinéen en général ? ALPHA MADY SOUMAH (AMS) : Le secteur minier est en pleine mutation. Mon opinion personnelle par rapport aux mines est qu’à côté de l’agriculture, tous les gouvernements qui se sont succédé ont fait de ce secteur un véritable levier du développement économique de notre pays. Tous les codes miniers, les réglementations ou législations en vigueur depuis 1958 à nos jours dans notre pays, ont insisté sur la nécessité de transformer nos ressources minérales sur place pour apporter de la valeur ajoutée. Cette idée est encore reprise aujourd'hui et c'est encore d'actualité. C'est ce qui nous permettra d'accroître nos revenus. Il y a donc eu dans le secteur une parfaite continuité en matière de politiques minières. Cependant, là où le bât blesse, c'est dans l’application et c'est peut-être à ce niveau que je pourrais apporter ma modeste contribution. WAM : Soyez plus explicite… AMS : Je vous dirai que pour la première République, ce qui a été très positif, c’est qu’elle nous a permis de cartographier le territoire national et d'inventorier les ressources minérales du pays. Le gouvernement, avec l'appui des géologues soviétiques et guinéens, a réussi à couvrir l'ensemble du territoire à l'échelle à 1/200000ème et plus tard, d'autres amis du pays se sont joints pour aller à 1/100000ème dans certaines zones et ceux-ci nous ont permis d'évaluer le potentiel minéral de notre pays. Une bonne partie des ressources minières est connue et fait de la Guinée aujourd'hui une fierté en la matière. Il s’agit donc de nous poser des questions sur ce potentiel, sur la meilleure manière de la mettre en valeur et sur la façon la plus équitable de répartir les revenus miniers. WAM : Un des dossiers qui a retenu l’attention de l’opinion ces dernières années, celui de Friguia, une raffinerie à l’arrêt à un moment donné avant de redémarrer. Quelle analyse faites-vous de tout ça ? AMS : Friguia existait depuis la première République, avec un actionnariat de 49% pour l’Etat guinéen, contre 51% pour le groupe Pechiney. C’est un important point qu’il faut noter. WAM : Que s’est-il passé sous la deuxième République ? Je pense qu’il ne faut pas condamner le système en tant que tel, même si l’approche économique n’a pas été la bonne. Il s'est avéré qu’une usine d'alumine vers les années 1980-1995 ne pouvait pas du tout être rentable avec sa capacité de production annuelle qui se situait entre 600 et 650.000 tonnes. Or, pour que l’usine soit rentable, il fallait au moins être entre 1,2 et 1,4 million de tonnes. C’est ce qui a guidé le gouvernement à l'époque. Moi, je n'étais pas encore aux affaires quand on négociait le dossier de Friguia, mais j’étais dans le système minier, je sais ce qui s'est passé. WAM : Pouvez-vous nous en dire plus ? AMS : On ne privatise pas pour privatiser simplement. L’objectif du gouvernement sous le défunt président Lansana Conté était l'extension de l'usine Fria pour en garantir la rentabilité et avoir une valeur ajoutée pour la Guinée. Et c'est pour cela qu’on a fait appel à des grands du monde de l’alumine telle que Reynolds. Malheureusement, Reynolds que nous avions connu aux États-Unis, une grande industrie de l'aluminium, ce n’est pas ce Reynolds là que nous avions eu à Fria. Ce Reynolds qu'on a vu, n’avait que 15 %. Donc, la situation ne s'est pas améliorée et a même empiré ! Si vous regardez bien dans les documents de Fria, le premier accord qui a été signé, c’était une location gérance. Cela permettait à Fria de rester société de patrimoine et de laisser Alumina Company of Guinea (ACG) comme société d'exploitation avec le fonds de commerce. C'est cette société qui a évolué jusque dans les mains de RUSAL, c'est ce que nous connaissons aujourd'hui. WAM : A vous entendre, ce sont les errements dans le partenariat entre ACG et la Guinée qui expliquent la situation actuelle de Friguia ? AMS : C'est très compliqué, voire extrêmement compliqué. Les gens ne font que ressasser le dossier, alors personne n'est jamais parti en profondeur pour vous dire qu'est-ce qu'il faut faire. Il ne faut pas analyser le secteur minier en dehors de ses politiques minières. WAM : Est-ce que les difficultés économiques du pays n’expliquent pas aussi les problèmes rencontrés par cette raffinerie ? AMS : La période de 1984 à 2010 a été caractérisée par l'ajustement structurel qui s'imposait à tous les Etats, c’est-à-dire un désengagement total dans tous les secteurs productifs, c'est ce qui a été fait. On ne pouvait pas échapper à la règle. Mais c’est dans la mise en œuvre de cette nouvelle stratégie qu’il y a eu des problèmes en Guinée. Je ne sais pas si c'est par incompétence ou si c'est par manque de volonté. Mais en tout cas, le bât blesse à ce niveau. C’est la mise en œuvre de cette volonté qui s'est traduite par la politique minière nationale qui a été adoptée à cette époque. Fria devait construire un barrage, une usine d'alumine et devait avoir l'extension de l'usine d'alumine, rien de tout ça n'a été fait. C'est ça, la situation de Fria, c’est ce qui nous amène les problèmes que nous vivons avec cette usine. WAM : Quelle a été la suite ? AMS : Il y a eu une évolution dans ce dossier. Fria a été privatisée avant l'indépendance en 1958, et sous la deuxième république, l’ajustement structurel a obligé l’Etat à prendre une décision. La question se posait de savoir comment privatiser, car ce n’est pas le principe en tant que tel. Maintenant, quels ont été les outils de restructuration et quels ont été les outils de privatisation utilisés ? Pour Fria, c'est le BOT (Build Operate and Tranfers), la location gérance n'étant rien d'autre qu'une forme de BOT. Mais, est-ce qu'il y a eu du suivi derrière ? Quels sont les accords de base ? C'est pour cela qu’il faut faire une relecture pour redresser la barre, sans chercher des « coupables », mais il faut redresser le système pour que l'objectif qui avait été visé soit atteint. WAM : Qu’est-ce que vous répondez à ce qui pensent que l’Usine FRIGUIA-KIMBO a été vendue à Ruski Alumini (RUSAL) ? AMS : Moi, je ne peux pas confirmer cela. Parce que je n'ai pas vu les documents qui ont été présentés, les analyser, pour me déterminer. Peut-être, à l'Assemblée nationale, je pourrais les trouver parce que j’étais en dehors du pays. Personnellement, je n'étais pas d'accord avec l’argument qui a prévalu. On ne peut pas me dire que l'usine de Fria est amortie, et qu'on continue à produire 700.000 tonnes, alors qu’à la liquidation de l'usine, elle produisait 600.000 tonnes. Et quand c'est amorti, on produit 700.000 tonnes ! Ça c'est un paradoxe. Deuxièmement, je vous dis que pour que Fria soit rentable, totalement rentable, il fallait obligatoirement au moins doubler sa production, sa capacité annuelle. Alors si on avait pu réaliser tout cela, la situation allait changer et s'améliorer. WAM : Selon certaines indiscrétions, vous étiez très proche avec Monsieur Patchenko de la société Rusal. Vous confirmez cela ? AMS : Le ministre Alpha Mady Soumah n'a jamais été ami à Pantchenko. C'est Pantchenko qui a poussé pour me débarquer du gouvernement. Je suis devenu ministre parce qu’à la demande de feu général Lansana Conté, j’ai été chargé d’évaluer le secteur minier et pétrolier de la Guinée, à3 mon retour de la Guinée-Bissau où j'étais le conseiller spécial (du gouvernement de Guinée Bissau) de 1980-1985. C’est à l’issue de ce travail que j'ai produit un document qui a conduit le général Conté à m'amener à côté de lui à la Présidence de la République pour m'occuper des projets stratégiques. J'ai continué à évaluer le système. Et quand j'ai terminé le travail, il m'a dit : « Monsieur Soumah, c'est vous qui aviez fait ce travail, vous allez l'appliquer au ministère des Mines ». J'avais donc une seule mission en venant à la tête de ce ministère : optimiser et augmenter les revenus miniers. Quand j'arrivais au ministère des Mines, les recettes minières totales de l'année 2001 étaient aux alentours de 92 millions de dollars USD. WAM : Qu’avez-vous fait une fois que vous avez été nommé ? AMS : Par rapport à l'ampleur de la production à l'époque, il m'a été demandé de redresser la situation. En tant que professionnel du secteur minier, je me suis posé la question de savoir comment il faut le faire. Je me suis dit qu’il ne faut pas aller avec passion. J'ai organisé un comité stratégique qui a fait le diagnostic complet du secteur minier guinéen. Et ce comité comprenait tous les départements ministériels plus la Banque Centrale et la Présidence de la République. On a fait le diagnostic sans complaisance qui nous a conduit à l'élaboration et à l'adoption d'une nouvelle politique minière qui a été approuvée par tous les bailleurs de fonds. Nous avions élaboré fait un Plan d'action sur la base duquel la Banque mondiale, hors programme, nous a accordé 20 millions de dollars avec l'appui de feu Idé Niandou, à l’époque représentant de la Banque Mondiale en Guinée. Ensuite, j'ai négocié pour mettre en place l'Initiative transparence pour les industries extractives (ITIE) et désigné le premier directeur de cette structure. Et j'ai aussi pris M. Daouda Windo Kourouma pour le mettre à la tête du processus de Kimberly (Ndlr : pour garantir la transparence dans les opérations concernant les diamants). WAM : Que s’est-il passé après ? AMS : J'ai immédiatement engagé le processus de révision des conventions et accords miniers. On ne pouvait pas commencer par ça. Il fallait le diagnostic d'abord avant d'arriver à ça. En 2003, j'ai déclenché la révision des accords et conventions, ça commencé par nous. J'ai commencé par la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et la Société Aurifère de Guinée (SAG). Au moment où j'étais en train de venir vers ACG, c'est en ce moment que Patchenko s'est réveillé et s'est servi de son poste de Président de la Chambre des Mines de Guinée (CMG) pour braquer presque la moitié du secteur contre les politiques que j'étais en train de mettre en place. J'ai continué le combat du gouvernement guinéen qui consistait à récupérer 40.000 km2 de terre, de périmètres d'exploration de la CBG de Boffa à la frontière de Guinée- Bissau. Il a fallu renégocier, organiser des foras aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique du Sud, avant de venir à Bel Air en Guinée. Ce sont nos réformes qui ont permis que dans la région Nord-Ouest (Boké, Boffa) il existe actuellement plusieurs compagnies minières. WAM : Ce ne fut pas facile quand même... AMS : Quand j'arrivais en 2002, il n’y avait que trois sociétés minières de bauxite en Guinée. Il s’agit de la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), d’Alumina Company of Guinea (ACG) l’Office des bauxites de Kindia (OBK). Il n’y avait pas d'autres sociétés parce que les politiques passées n'ont pas permis d'attirer les investisseurs pour venir accompagner le programme national. Il faut transformer les ressources minérales en Guinée sur place. Vous pensez que les multinationales allaient me laisser continuer ? La réponse c’est NON. En 2010, avec l'élection du Président Alpha Condé en Guinée, le pays a connu la mise en place d'un nouveau Code minier et le gouvernement se réjouit des réformes dans le secteur extractif. Il y a eu également la préoccupation des communautés qui sont prises en compte, tel que le fonds FODEL (Fonds de développement local) et l’ANAFIC (Agence nationale de financement des collectivités) et le paiement des taxes superficiaires. WAM : Dites-nous, aujourd'hui, quels sont les défis à relever dans la gouvernance minière actuelle ? AMS : Il faut d’abord avoir les bonnes informations. Est-ce qu'on peut parler de milliards de tonnes de bauxite aujourd'hui en Guinée sans parler de recherches minières ? Avant d'exploiter un minerai, il faut le trouver. La découverte des minerais est l'œuvre des géologues guinéens et c’est la première République qui leur a donné les moyens de travailler. Tout ce qui a été trouvé comme bauxite dans cette partie (Boké-Boffa), c'est des missions guinéennes et soviétiques qui ont découvert ceci après les premières reconnaissances des français qui ne sont pas allés loin. WAM : Les privatisations ont donc beaucoup perturbé le contrôle des mines par l’Etat guinéen… AMS : Je vous ai dit que sous la deuxième République, il y a eu le relâchement de l'infrastructure géologique. C’est sous la pression internationale avec l'ajustement structurel que le gouvernement s'est désengagé de ce secteur. On a commencé à privatiser, l'Etat de 49 % s’est retrouvé à 16 % à Fria, 5 % à la SAG et 15 % à la SMD. La seule société qui a gardé les 49 % c’est la CBG. Alors, si aujourd'hui, avec l'arrivée du Pr. Alpha Condé, cette politique a été reprise, je vous dis que c'est une continuité. WAM : Parlez-nous du code minier de 1995… AMS : Le code minier de 1995, en effet. D'abord sous la première République, il n’y avait pas de code. Les contrats étaient faits soit par accord, soit par convention de concession minière, on intégrait même l'étude de faisabilité, c'était presque le même modèle (Etat guinéen 49 % partenaires étrangers 51 %) . Ça a évolué sous la seconde République avec le désengagement structurel, les restructurations, les privatisations. Il y a eu un Code attractif adopté à cette période, c'est le Code de 1995 qui avait ses forces et ses faiblesses. Peut-être que dans l’élan, ça été trop favorable aux investisseurs. C’est pourquoi, il fallait le faire pour attirer les investisseurs. Maintenant, si les investisseurs se sont tournés vers notre pays, si en 2010, le Pr Alpha Condé revient pour faire la révision de ce code, c'est normal. Dans le monde entier, tous les Etats révisent leurs codes miniers tous les 5 ou 10 ans. Le Mali et le Sénégal ont révisé les leur. Le code minier guinéen de 1995 et le code malien ont été cités à l’époque comme des références par la Banque mondiale. WAM : Il y a également le code de 2011… AMS : Nous avons aujourd'hui le code de 2011 qui a aussi été un peu révisé en 2013. Dans ce document, il y a des aspects très productifs. Par exemple, la lutte contre la corruption qui figure dans le code, c'est important. Il y a le rôle des différents services techniques du département des Mines qui a été clarifié dans ce code. Il y a également la protection de l'environnement qui a été renforcé (…) N’oublions pas la surveillance et le suivi des entités minières existent dans tous les codes du monde. Chez nous ici, un accès particulier a été mis sur ce point, mais ça c'est dans le code. Je dis et je le répète, c'est le texte qui est très beau, mais l'application pose problème et fait défaut. WAM : Pourquoi les recettes, les taxes et les dividendes de la CBK ne figurent pas dans les rapports qui sont produits par ITIE ? ASM : Je vous fais l'historique, c'est quand la Banque mondiale a évolué dans le dossier de OBK, c'était une société d'État, s’est retourné à SBK (Société de Bauxites de Kindia) et CBK (Compagnie des Bauxites de Kindia). On s’est rendu compte qu’on produisait la bauxite à peu près 14 dollars la tonne, et on la vendait à moins de 11 dollars, d’où un manque à gagner énorme pour la Guinée. La Banque mondiale avait érigé la société qui était devenue société anonyme. Et on a dit qu'il faut absolument licencier près de la moitié de l'effectif, injecter des millions de dollars US pour réhabiliter et rénover les installations et continuer la prospection sur les autres plateaux de Kindia parce que la réserve de Débélé restait à faire. L'Etat guinéen a dit qu'il ne peut injecter aucun franc. Il fallait, alors trouver à cette époque un repreneur qui va s'engager à faire tout ça. C'est ce qui a été fait. C'est ainsi que le gouvernement guinéen a négocié avec RUSAL qui s’est retrouvé en Guinée. Je précise qu’à l’époque, je n'étais pas ministre, mais un technicien qui a travaillé sur un business plan. Le business plan et la convention étaient très clairs. La CBK n'est pas une entreprise privée en tant que telle, la convention dit ceci : « Réhabiliter, exploiter et transférer » A qui ? A l'Etat guinéen. WAM : Monsieur le ministre, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. AMS : c’est à moi de vous remercier. 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